New Australia

Un trois-mâts pour New Australia.
Des grévistes du Queensland projettent de fonder une colonie communiste au Paraguay et rachètent en 1893 un navire marchand pour convoyer des centaines de travailleurs de la vieille à la nouvelle Australie.

Le Royal Tar, vaisseau de New Australia, à Port-Adelaïde le 25 décembre 1893 · photographie anonyme · John Oxley Library, State Library of Queensland

Né en Angleterre, William Lane émigre en 1885 en Australie, après avoir exercé les métiers de typographe et de journaliste au Canada et aux États-Unis. Il emporte dans ses bagages Le Capital de Karl Marx et le Co-operative Commonwealth de Laurence Gronlund. En Australie, Lane devient un journaliste radical influent. Installé à Brisbane, il est l'un des fondateurs en 1889 de la Fédération australienne du travail. Les échecs de l'action syndicale (de la grande grève des tondeurs de moutons de 1891 notamment) et du mouvement politique travailliste australien conduisent William Lane sur la voie du communalisme. Lane observe depuis plusieurs années les communautés utopistes américaines, historiques comme Icarie, ou contemporaines comme Topolobampo avec laquelle il correspond en 1889.

En mai 1891, Lane forme la New Australia Co-operative Settlement Association qui projette d'établir en Amérique du Sud une colonie communiste en partie inspirée du Freeland de Theodor Hertzka, roman d’une nouvelle nation coopérative et égalitaire formée en Afrique, traduit de l’allemand en 1891. L’acquisition de terres en Amérique du Sud est réputée plus facile qu’en Australie ; en outre, en choisissant une destination lointaine, Lane compte dissuader les moins motivés des candidats à l’utopie. Plus de 600 souscripteurs répondent tout de même à l’appel du charismatique journaliste. Lane verse personnellement 1 000 £. L’adhésion à l’association est conditionnée par le don volontaire de 60 £ par personne, une somme importante pour des travailleurs qui doivent parfois vendre leurs biens pour s’acquitter de ce don d’adhésion. Cette condition de ressources exclut les candidats les moins aisés. Après avoir d’abord envisagé un établissement en Argentine, les agents de l’association annoncent à Lane qu'un immense domaine de plusieurs dizaines de milliers d'hectares est ouvert à la colonisation par le gouvernement du Paraguay. Élu en 1890 à la présidence de la république paraguayenne, Juan Gualberto Gonzalez a décidé une politique d’immigration pour combattre la récession économique et repeupler le pays dont la population est passée de 525 000 à 220 000 personnes après la guerre de 1864-1870 contre l’alliance du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay.

Avec les fonds qu’elle a pu réunir, l’association rachète en mai 1893 un trois-mâts, le Royal Tar, navire marchand de 171 pieds (52 m) construit en 1874. Elle transforme le bâtiment pour le transport (très inconfortable) de voyageurs en pensant assurer ainsi une liaison maritime régulière entre l'ancienne et la nouvelle Australie (Freeland de Hertzka possède sa propre flotte de bateaux à vapeur). Au mois de juillet suivant, William Lane, sa famille et plus de 200 membres de l’association (dont une cinquantaine d’enfants et à peu près autant d’hommes que de femmes) embarquent à Sidney. La plupart des hommes sont des bushmen – artisans, fermiers, tondeurs des régions intérieures de l’Australie – aguerris aux conditions de vie difficiles.

Deux mois leur sont nécessaires pour rallier Montevideo en passant le Cap Horn. Ils remontent ensuite le río Paraná et le río Paraguay sur un bateau à vapeur jusqu'à Asunción, où ils sont accueillis par le consul britannique, le ministre paraguayen de la colonisation et par le président González lui-même. Ils se voient alors assigner un autre domaine que celui qui avait d’abord été envisagé, beaucoup plus vaste mais aussi plus éloigné. La concession est accordée contre la promesse d’installer un millier d’immigrants sur le site. Les Néo-Australiens poursuivent leur route par le train jusque Villarrica puis en charrettes pour atteindre enfin le 28 septembre1893 la Colonia Nueva Australia, située à 176 km de la capitale : une orangeraie abandonnée au milieu de 185 000 hectares de pâturages entourés de forêts.

La constitution de New Australia est approuvée par chacun des migrants adultes : la propriété est collective, l’éducation des enfants est confiée à la communauté, il n’y a pas de différence entre les sexes, l’ensemble des adultes forme le corps électoral de la colonie dont les décisions importantes (élection du directeur ou des superintendants du travail, règlement général) sont prises à la majorité des deux-tiers, la communauté ne reconnaît aucune religion. Les colons entreprennent de mettre en culture le domaine et de bâtir le village communautaire. À la fin de 1893, ils ont défriché quinze hectares et en ont planté la moitié de pommes de terre douces, de manioc, de haricots, de melons et de pommes de terre ; ils ont créé des enclos pour 2 500 têtes de bétail et ont construit un atelier de maréchal-ferrant, une boucherie, une école et vingt habitations à couverture de chaume. Un magasin communautaire permet aux Néo-Australiens de s’approvisionner selon un système de crédits auxquels leur travail donne droit.

En apparence, les débuts de la colonie sont prometteurs. Pourtant, si William Lane a été élu par les colons à la présidence de New Australia, il apparaît vite qu’il entend diriger selon sa volonté et il provoque ainsi l’hostilité d’une partie de la communauté. Communiste charismatique, mais aussi puritain et raciste, il impose la prohibition de l’alcool, l’interdiction des relations sexuelles hors mariage, l’admission de membres de race blanche exclusivement. La consommation d'alcool ou l'intégration de femmes Guarani sont le sujet de vives disputes et le convaincant orateur Lane, drapé dans ses certitudes, s’avère un piètre négociateur. Dès novembre 1893, la colonie est divisée en deux factions, « ceux de la famille royale », fidèles à l'autocrate Lane, et les « rebelles ».

Le 5 décembre 1893, 24 pétitionnaires « rebelles » de Nueva Australia s’adressent au gouvernement paraguayen pour se plaindre de la mauvaise gestion de Lane et solliciter des concessions individuelles de terre. Les évènements prennent un tour tragi-comique. Le 15 décembre suivant, William Lane publie l’ordre d’expulsion de trois des pétitionnaires pour consommation d’alcool. L’ancien leader de la grève des tondeurs a recours à la police paraguayenne pour mettre l’ordre à exécution. Dans le même temps 19 rebelles, parmi lesquels les trois expulsés présentent une proposition de division des biens de la colonie. La proposition est refusée par Lane, qui est seulement prêt à accorder un maigre dividende à ceux qui veulent partir. Malgré le caractère inéquitable de l’offre, un tiers des Néo-Australiens (81 personnes) quittent la colonie avant la fin de décembre, certains pour s’établir ailleurs au Paraguay ou en Amérique du Sud, d’autres pour rentrer en Australie.

Le télégramme envoyé aux colons de la deuxième vague, qui s’apprêtent à embarquer à Adelaïde sur le Royal Tar, ne fait état que de huit départs. La colonie du Paraguay ne souhaite évidemment pas alarmer ses sympathisants australiens. L’association compterait alors 3 000 membres et plusieurs centaines d'entre eux seraient déjà prêts à rejoindre l'Amérique du Sud. L’appareillage du Royal Tar a lieu en présence d’une foule importante parmi laquelle les députés travaillistes du parlement australien. Le contingent de Néo-Australiens comprend 200 personnes, 143 hommes, 16 femmes et 41 enfants. Les hommes sont pour moitié des fermiers et des bushmen ; pour le reste, on compte deux ingénieurs, dix mineurs, deux forgerons, deux bouchers, etc. À la tête du groupe se trouvent 9 leaders de la grève de 1891, qui pour certains ont connu la prison. Les trente membres d’équipage font également partie de l’association, à l’exception du capitaine, de son second et du cuisinier. Le jour du départ, le 27 décembre 1893, le syndicaliste Gilbert Casey s’avance sur le pont du Royal Tar et déclare à la foule que les migrants ne partent pas par égoïsme mais pour donner l’exemple à l'humanité entière que le communisme est le meilleur des systèmes.

Les nouveaux colons arrivent à New Australia en février 1894 et sous l'impulsion de Casey vont peu après grossir les rangs des « rebelles ». Une large majorité se prononce sur l’élection d’un conseil, perspective rejetée par Lane qui ne veut pas s’embarrasser d’une démocratie. Plutôt que de se soumettre à la majorité, Lane et ses fidèles font sécession. En juillet 1894, 63 membres « de la famille royale » créent une nouvelle colonie à 75 kilomètres au sud de New Australia, baptisée Cosme. Frederick Kidd, un migrant de 1894 est élu à la tête de New Australia en remplacement de Lane. Après la destitution du président Gonzalez en juin 1894, la colonie, qui recevait des subsides du gouvernement, est dans une situation fragile. Ses récoltes sont mauvaises et elle ne parvient pas à tirer profit de ses ressources : ses 70 vaches laitières, ses 2 500 têtes de bétail, le bois des forêts de son immense territoire. À la fin de 1894, Gilbert Casey est dépêché en Australie pour recueillir des fonds auprès des administrateurs de l’association. Mais celle-ci doit alors faire face aux demandes de restitution de la part de souscripteurs restés en Australie, elle a hypothéqué le Royal Tar et se trouve embarrassée par la situation d’abandon de 17 femmes de colons partis au Paraguay. New Australia ne suscite plus le même enthousiasme, mais Casey parvient tout de même à enrôler une cinquantaine de recrues.

La communauté reste active jusqu'en 1896. Le gouvernement paraguayen souhaite alors mettre un terme à l’accord de colonisation de New Australia, les socialistes n’ayant pas tenu leur engagement d’installer un millier de migrants dans le pays. Les biens de la communauté sont vendus aux enchères en janvier 1897 et le domaine est restitué au gouvernement qui autorise les colons encore présents à s’installer sur de petites parcelles. Des Australiens cultivent ces terres avec succès pendant une époque. Des descendants des Néo-Australiens vivent encore dans la région au début du XXIe siècle.

Témoignages


Notice: Undefined variable: testimony1 in /home/familistere/domains/fdu.familistere.local/public_html/apps/intranet/modules/D4/templates/_utopia.php on line 161

Notice: Undefined variable: testimony2 in /home/familistere/domains/fdu.familistere.local/public_html/apps/intranet/modules/D4/templates/_utopia.php on line 170

Notice: Undefined variable: testimony3 in /home/familistere/domains/fdu.familistere.local/public_html/apps/intranet/modules/D4/templates/_utopia.php on line 179

COMPAGNIE UTOPIENNE TRANSATLANTIQUE

Poulie de marine
Bois, métal · Début du XXe siècle


L'association coopérative de colonisation de Nouvelle Australie acquiert en 1893 un navire marchand de 52 mètres qu'elle transforme pour convoyer dans son paradis égalitaire du Paraguay des centaines et même des milliers de travailleurs australiens exploités par les capitalistes de l'île-continent. Le Royal Tar est un trois-mâts en bois de 598 tonnes construit en 1876 dans l'État du New South Wales. Il effectue sa première traversée entre juillet et septembre 1893 de Sydney à Montevideo avec plus de 200 colons à bord. De retour en Australie en décembre 1893, le Royal Tar appareille de Port Adelaïde le 1er janvier 1894 avec une nouvelle cargaison de néo-australiens. Cette deuxième traversée, houleuse, met un terme au projet d'émigration massive par cette ambitieuse liaison maritime régulière. Les dissensions parmi les communistes du Paraguay et le manque de moyens financiers contraignent l'association à revendre le bâtiment en 1895.


Émigrants pour New Australia à bord du Royal Tar
Photographie anonyme, juillet 1893 · Mitchell Library, State Library of New South Wales



Sources et références

The Brisbane Courier, 21 Juillet 1893.

The Queenslander, 2 décembre 1893.

South Australian Register, 20 décembre 1893, 28 décembre 1893, 1er janvier 1894.

Grahame (Stewart), Where Socialism Failed, 1912.

Souter (Gavin), A Peculiar People: Australians in Paraguay, 1968.

National Treasures from Australia's Great Libraries, 2005, p. 56.

Wright (Ed), Settlements of the Doomed, 2011, chap. 10.

Souter (Gavin), « Lane, William (1861-1917) », Australian Dictionary of Biography, National Centre of Biography, Australian National University, [En ligne], URL : http://adb.anu.edu.au/biography/lane-william-7024/text12217, consulté en mars 2012.

Sullivan (Rodney), « Casey, Gilbert Stephen (1856–1946) », Australian Dictionary of Biography, National Centre of Biography, Australian National University, [En ligne], URL : http://adb.anu.edu.au/biography/casey-gilbert-stephen-5528/text9415, consulté en mars 2012.



Debug toolbar